«La vie c'est moche et on meurt à la fin.»
Bonjour. Bien que le sujet soit le seul qui nous touche vraiment, il n'est pas sûr que nous soyions les mieux à même de parler de nous-même. Non, je déconne. Je suis né le 19 mai 1977 à Paris (contrairement à une rumeur persistente d'«amis» que la provincialité ou l'extranéité rend suspects, qui veut que je sois banlieusard).
La psychanalyse, comme chacun sait, c'est de la charlatanerie. Très jeune, déjà, je ne me laissais donc pas faire par les clichés des assignations de genre. Du coup, grâce à mon look androgyne et à ma parfaite compréhension du grand retour du chapeau dès 1979, je rentrais à tous les coups au Studio 54 (sur la photo: Ryan Philip vient de partir me chercher un verre par la porte du fond).
Petit déjà, je montre un certain sens du je-sais-tout-isme qui me vaudra au collège le surnom de Robert-Parfait-Modeste, et, dès la petite enfance, deux tentatives de meurtre par ma soeur (devant la maison avec un tricycle ; pendu haut et court pour «jouer aux cowboys»). A dix ans, curieux de toutes les explications classistes des malheurs du monde, je dévore les romans moraux de la Comtesse de Ségur et les écrits théoriques de Friedrich Engels.
Dès lors, mon parcours au sein du Parti est écrit. Grâce à ma défense inflexible de la stratégie classe contre classe au XIVe Congrès de la section française du SED à Dourdan, je suis invité, l'année de mon bac (1995), à participer au Concours international des meilleurs imitateurs d'Erich Honecker, à Tirana (ici, avec la veuve d'Enver Hoxha qui présidait le jury).
Je ne finis que deuxième. Malgré ce faux-pas, je suis admis dès l'année suivante à l'école des Hautes Etudes Commerciales. Cela permet opportunément à mon père de me comparer pendant trois ans à Emmanuel Chain et Claire Chazal.
Sous le masque du libéralisme bon teint («soyez les euro-top-managers de l'an 2000») se dissimule à HEC l'ambition de mettre le soviétisme au service du capitalisme, afin d'en accélérer la décomposition inéluctable. Ainsi, l'école promeut les technologies du Plan CALCUL (inscriptions de cours sur cartes perforées, utilisation exclusive du navigateur internet du CNRS), et son Resto U (RU) applique le vieux slogan de la Révolution culturelle : «mangez de la sciure ou les restes d'avant-hier, mais mangez!» Dans le même esprit, la vacuité sidérale des cours de management de l'humain et d'information des organisations conduit en 1997 à une énorme purge (après autocritique) ; les profs sont déportés juste à côté, dans la ferme de Viltain ou comme ouvriers de chauffe au CEA de Saclay. Heureusement pour le corps professoral de renom d'HEC (55e business school mondiale à l'époque, po po po, Harvard tremble), les taux de nitrates et de césium 137 mesurés par la suite dans la poussière du campus et les «Tartines Orlando» du RU (mais c'est la même chose) conduisent à suspendre l'expérience.
Surtout, la première année HEC est d'un immense et scolaire ennui. Heureusement, comme le fait remarquer un ami, «ici, il n'y a pas de branches aux arbres pour qu'on ne puisse pas se pendre».
Dans le spectaculaire emmerdement de 1996/1997, je commencer à participer au magazine étudiant «Quai des Plumes». Plus qu'une succession d'aléas éditoriaux, il s'agit de visiter l'ensemble des banlieues nulles où sont installées les grandes écoles, et de se dire que finalement, Sup de Co c'est peut-être moins bien (on pensait comme ça, avant que Raffarin n'arrive pour libérer les énergies et fixer le cap) mais que c'est dans Paris. «Quai des Plumes» s'illustre aussi par des luttes sourdes entre futurs ex-séguinistes, crypto-deloristes de toujours, chevènementistes de choc en devenir et rubriqueuses culturelles impolitiques ; des batailles sanglantes sur le nom du magazine ou le choix entre ponctualité rédactionnelle et soirées de campagne BD ; le goût pour les triangles antropomorphes; les faux-départs et les portes qui claquent à la Marthe Mercadier ; et quelques murges à la limonada. Certains en gardent des surnoms pittoresques (attention, «le varan» ce n'était pas moi vu que je suis unifide) :
Heureusement, je me fais quelques amis. Beaucoup de soirées de la deuxième année sont passés à rien foutre jusqu'à trois heures du mat', heu, à parler à bâtons rompus avec ces joyeux camarades (et ma soeur qui a assez vite senti des affinités avec ces gens). Ils ont l'immense mérite de ne pas prendre les ambitions universitaires globales d'HEC au sérieux, contrairement à ce que la photo pourrait donner à penser (NB. - le mag autocélébratoire d'anciens Hommes et Commerce a choisi avec humilité comme eurotopManagers emblématiques : un militant de la répression au Tibet, un ancien détenu politique égyptien, un pyromane multirécidiviste, un pédophile en détox et le quota annuel d'étudiants exclus sans diplôme) :
Tout cela détend un peu mon karma, et c'est là que je réalise :
Je rencontre mon premier petit ami (noter avec quelle subtilité j'ai glissé sur ma première expérience), qui avec le recul était vraisemblablement aux 3/4 mythomane (c'est idiot de se vanter d'être de la famille du pâté Enaf). Le coming-out avec les divers amis se passe relativement bien, malgré des débuts incrédules:
A peu près au même moment, et par un hasard heureux, je rencontre le petit groupe qui va donner naissance à l'asso «gay et gay-friendly» d'HEC, In&Out (ce n'est qu'ensuite qu'on réalisera que le film est un gros navet). Comme on est touTEs encore assez placards et qu'on a peur de se faire noyer dans le lac par la Communauté chrétienne, on démarre discrets, et le campus croit à une plaisanterie (il faut dire qu'on lance la nouvelle un Premier Avril...). Durant les années 1998/1999, In&Out conquiert néanmoins trois avancées majeures des droits des LGBT à HEC: les gouines obtiennent le droit d'être appelées pédéEs; il est établi de manière définitive et scientifique par la méthode pouce/auriculaire qu'elles ont un plus grand sexe que les garçons; enfin, et surtout, la mauvaise pop eighties de l'Overkitsch est importée dans deux soirées de gros cons de rugbymen pleins de bière. Il faut dire qu'avec deux comparses de In&Out, je deviens un pilier de l'Overkitsch (ce n'est plus ce que c'était, comme on dit de vieilles maladies vénériennes) ; le concept est de connaître intégralement les textes de Stock/Aitken/Waterman (lip-synch is chic), voire de mimer.
L'été 1998, je le passe à Bruxelles à travailler pour la Commission européenne (direction de la protection des consommateurs), et donc à me lever à houit heures quart. Assez rigolo, la Commission, un univers de gens mo-ti-vés, les true believers de l'euro-qui-simplifie-la-vie. Tout cela semble un peu moins crédible après la réunion où la DG Marché intérieur flingue en 2 minutes l'idée de rendre gratuit le retrait aux distributeurs dans un autre pays de la zone euro.
Cet été est aussi celui où je sors avec Stéphane a.k.a (par mes amis qui veulent suivre) «Les sacs à main». D'où, des allers-retours de l'un et de l'autre entre Bruxelles-Midi/Brussels-Zuid et Paris-Nord. Et aussi, la soirée mémorable de la Coupe du Monde où la serveuse nous donnait le score de France/Croatie (mach à suspens) à chaque plat.
Eclairé par l'exemple de devanciers aussi brillants qu'Hervé de Charette et François Hollande, je formais depuis longtemps le rêve de cumuler HEC et l'ENA (prononcer éhenna). Du coup, comme l'un ne va pas sans l'autre, je passe le concours de Sciences po en 1998. L'année 1998/99 est profondément pénible (faite d'aller-retour Jouy-en-Josas/rue Saint-Guillaume en autostop), et assez polarde dans l'ensemble (mes camarades d'HEC sont en stage long et je n'ai pas trop de potes à ScPo). En revanche, à la rentrée 1999, je rencontre la bande dynamique qui vient de donner naissance à mousse, asso anti-homophobe de Sciences po. L'année 1999/2000 est donc une forme d'âge d'or associatif (avec les fameuses tables en Péniche du jeudi), qui se double de la rencontre de Pierre «Le Certifié», future star multinominée aux Oscars de mes élégies amoureuses.
Je rate l'ENA une première fois juste après la sortie de Sciences po, mais comme il paraît que «c'est normal», je ne me méfie pas. Quand je rate à nouveau après une prépENA en bonne et due forme, je commence à me poser des questions, notamment celle-ci :
D'autant que j'apprends les résultats des oraux à quatre jours de Noël 2001, ce qui est cool.
Parallèlement, grâce à une stratégie d'une classe incontestable («Romain, si tu me présentes le petit avec un gros nez, je te suce» - c'était une expression, en vrai) j'ai rencontré à la Marche des Fiertés 2001 un autre prof (j'ai un truc avec les profs, semble-t-il), Julien, pour lequel une prescription post-matrimoniale trentenaire m'empêche de dire : 1- si je l'ai aimé et 2- pourquoi ça a fini (il semblerait à ce sujet que le e-mail explicatif se soit perdu entre Londres et Paris). Toujours est-il que nous avons passé une semaine d'été mémorable et magnifique à Avignon (pendant le festival), et qu'il a été d'un grand secours moral pendant le concours - et beaucoup d'autres choses encore. A sa charge, il a aimé l'exposition «The American Sublime» à la Tate Britain :
En 2001 également, je commence à participer aux travaux de Moules-Frites, réseau et ensuite fédération des assos de jeunes homos. De là plusieurs généralisations utiles dans l'existence: 1- se méfier des Lyonnais ; 2- l'associatif, c'est comme la sodomie, il faut que ça sente la merde mais pas trop (pour paraphraser le regretté et lyonnais Edouard Herriot) ; 3- Bernard Kouchner, c'est que de la gueule ; 4- si vous pensez que la gauche se fout de vous, essayez la droite. Avoir quelques responsabilités à Moules-Frites permet de visiter le ministère de la santé ou de l'agriculture (le conseiller de Glavany était hyper beau !) et de passer à la télé vu que les autres sont des couilles molles («gnagnagna mes parents ... gnagna discrétion»). Grâce à une subtile mention dans la presse, mon père découvre (bien plus tard) que j'appartiens à une assoce «au nom belge et un peu grivois» (au moins il a capté la blague, dans les ministères fallait leur expliquer doucement).
2002, année des exils (comme disait Lionel Jospin) ; j'échoue dans celui du service culturel de l'ambassade de France à Londres, planque sympathique avec un petit groupe de jeunes (stagiaires, etc.) drôles. Assez fréquemment nous avons passé nos soirées au Zetland Arms, le pub du coin, à se torcher à l'Abbot Ale ; soit 4 kg au compteur en rentrant. Tout de même, pour que la sous-blague de la première phrase ne laisse pas de doutes sur mon sens civique (oui, je sais, «Roger»...):
Comme la Coupe du monde vécue dans les pubs, et, oui, le tube («England: one, Argentina: nil» «yeeaaaahhhh»), le 21 avril 2002 est d'ailleurs un souvenir d'autant plus fort qu'il a été vécu à distance. La salle du cinéma de l'Institut français, pleine d'expatriés, était incrédule - malgré les subtils «nous appellerons notre envoyé spécial à Saint-Cloud dès 20 heures» de Pujadas -, et ensuite totalement défaite (sauf les gros cons de chiraquiens. Comme l'a dit ce soir-là Roselyne Bachelot au Président, «vous devez être content»). En fin de compte, une mini-manif assez gnan-gnan (certains se plaignant de la présence du Socialist Worker Party, «on est contre tous les extrémismes») fut organisée devant le Consulat à Londres. Souvenir solaire du 1er mai à Paris, avec ma soeur et mes amiEs folles du GLOSS (feu le Groupe des lopettes organiquement sexuelles et subversives).
Depuis juin 2002, je suis rentré en France, et après une plus-ou-moins tentative de trouver un boulot, j'ai repiqué une prépENA (jamais deux échecs sans trois). Dans un état d'esprit quand même plus décontracté que la dernière fois, notamment grâce à mes comparses de soirées pizza/plan en deux parties du jeudi soir.
Cette prépa s'est terminée sur des sentiments un peu mitigés. Ni moi, ni mes collègues de révision n'avons en fin de compte réussi le concours. En revanche, j'ai été pris au Département (une célèbre administration publique), où j'exerce depuis des tas d'activités intéressantes comme suivre l'Organisation (un célèbre organisme international), surveiller heure par heure le taux de change euro/dollar, et voir ma tête réjouie voisiner avec celle de Marianne:
Tout, et le reste, est sur le blog.
(mise à jour: mars 2006)
Je vais ailleurs :