L’actualité américaine, et au-delà, a récemment popularisé l’expression de chaîne de Ponzi, fréquemment évoquée ces temps-ci par les satiristes. Il s’agit d’un type classique d’escroquerie pyramidale, dans laquelle l’escroc doit attirer sans cesse plus de victimes, pour rembourser les premières à la hauteur des gains financiers très élevés qu’il promet, et laisser tout le monde dupe dans la durée. Dernier exemple en date, Bernard Madoff. On peut d’ailleurs voir dans des pans entiers de l’économie américaine, même licite, cette entourloupe exponentielle ; ainsi de la promotion immobilière exponentielle en Floride, le «Ponzi State».
Sarkozy a, de bien des façons, une familiarité à cette arnaque de Ponzi. Il a d’abord été, très directement et jusqu’il y a peu, l’avocat de l’importation, en France, du système d’emprunt hypothécaire rechargeable. Ce dernier permet(tait) aux Américains d’adosser leurs emprunts à la consommation (achat d’une voiture, d’une télé…) sur la valeur sans cesse croissante de leur logement, lui-même acquis à crédit. Or ce système ne prospère que sur un mensonge foncier : votre maison vaudra plus demain qu’aujourd’hui, et encore plus après-demain, et sur une caractéristique proprement «ponzienne»: il lui faut sans cesse plus de gogos pour que la bulle spéculative poursuive son gonflement. Dans la débâcle, les derniers à reprendre leurs billes n’ont plus de billes.
L’éthique de Ponzi imprègne, au fond, la pensée économique de Sarkozy : ainsi du «choc de confiance» de la loi «TEPA». L’idée de fond en est d’offrir des gains immédiats aux clientèles électorales habituelles de la droite (divers cadeaux fiscaux instantanés) ; ces gains ne peuvent être couverts sans problème à long terme par le budget de l’Etat, que si les avantages (limités) sur les heures supplémentaires – avantages ciblés sur l’électorat gagné par Sarkozy en 2007 – suscitent à terme, par quelque magie libérale, un surcroît de croissance. On n’a vu, en 2007-2008, ni emplois supplémentaires, ni sursaut de croissance, ni de ce fait budget soutenable. Mais les gains du bouclier fiscal et des réductions d’impôts (sur le revenu, la fortune et les successions) demeurent acquis aux plus riches, au risque peut-être de l’effondrement de l’ensemble des finances de l’Etat (la dette publique devrait passer de 67% à 78% environ, en trois ans).
«Ponzienne» finalement, la communication du Président de la République. L’énormité de chaque promesse («travailler plus pour gagner plus», diminuer les prélèvements obligatoires de 4 points, «que d’ici 2 ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir»), la brutalité de chaque décision (du ministère de l’identité nationale à l’incarcération des fous, de la mise au pas de l’audiovisuel au sabotage de la recherche publique, du bâillonnement de l’opposition parlementaire à celui de la magistrature) seraient intenables si elles n’étaient couvertes sans cesse par d’autres promesses, d’autres décisions plus bruyantes et plus agressives. La saturation médiatique de Sarkozy, sa frénésie de «réformes» ne sont pas seulement un choix tactique habile (occuper toute la place) ou le reflet d’une personnalité narcissique: ils sont une nécessité, une fuite en avant. Comme une bicyclette, Sarkozy tombe s’il s’arrête. Comme une pyramide bancaire albanaise, le doute ou la contestation feraient s’effondrer son pouvoir comme château de cartes, car ce pouvoir a le double visage grimaçant de tout lepénisme: vent ou violence. Dans la méthode, pas le choix: Sarkozy c’est Ponzi.
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Arthur Fonzerello «Fonzie» est un personnage de la sitcom américaine «Happy Days», tournée dans les années 1970, un temps très regardée y compris en France. Dans ce rétroviseur nostalgique et stéréotypé vers les «jours heureux» d’avant la guerre du Vietnam, Fonzie est l’archétype du «blouson noir» au grand cœur, populaire et marginal tout a la fois.
Alors quel liens avec «Sarkozy l’américain», selon l’expression de son désormais ministre Éric Besson? On passera sur le fait que Fonzie se déplace généralement avec une ou plusieurs pin-up au bras, femmes-trophées anonymes, interchangeables, faciles et séduites, dont on ne se rappelle pas qu’elles parlaient ou, a fortiori, chantaient.
Fonzie est une grande gueule qui domine les situations, les gens, et même les choses, par son prétendu bon sens et la brusquerie de son style. Peu éduqué, malappris, Fonzie s’impose et se rend incontournable de force. (le personnage lui-même était initialement secondaire dans la série.) Fonzie clôt tout discussion d’un «wow, wow, wow!» ou d’un «eyy!», convoque les filles d’un claquement de doigt, répare le juke-box d’un coup de poing, arbitre ce qui est cool ou pas a Milwaukee de deux pouces levés. Le Président de la République, lui, repousse un opposant d’un «pauv’ con», cherche la bagarre avec un marin en balbutiant agressivement, juge de tout et décide de tout sur un coup de tête (la fin de la pub à la télé, la mémoire d’un enfant juif déporté à la charge d’un écolier, etc.), il ignore la grammaire et l’orthographe. Sarkozy fait de la politique comme un petit caïd.
Dans la série, Fonzie n’est pas in fine un facteur de désordre mais une soupape d’originalité tout au plus vestimentaire et verbale, dans l’intérêt bien compris de l’Ordre. Le fils d’immigrés italiens, abandonné par son père, sait se faire apprécier de la famille Cunningham (incarnation des classes moyennes WASP et conformistes), la servir et l’aider face aux problèmes du quotidien. Sous le masque de la remise en cause se cache le pilier de l’Amérique d’Eisenhower, pour lequel le héros appelle d’ailleurs a voter. («I like Ike. My bike likes Ike.») De même, Sarkozy n’est que le zeste populo et prétendument transgressif («les conservateurs ce sont eux») de la Réaction la plus nue et la moins imaginative.
Il faut rapprocher par exemple deux événements similaires et récents, et les attitudes diamétralement opposés qu’ils ont suscitées chez Sarkozy. J’ai parlé déjà du coming out égoïste et politicien de Karoutchi, soutenu par Sarkozy qui y voit, selon toute vraisemblance, de la pub pour son ministre candidat en l’Île-de-France, ou l’occasion d’illustrer sa propre largesse d’esprit. Toute autre est sa réaction (si l’on en croit le Canard enchaîné) à la parution de la photo d’ailleurs assez décente du PDG de Radio France, J.-P. Cluzel, en compagnie d’un catcheur, dans le calendrier d’Act Up Paris: «sa vie privée c’est sa vie privée.Il fait ce qu’il veut mais il n’a pas à s’afficher comme ça.» Il est vrai que Cluzel est chiraquien et pas en cour à l’Elysée. Il est vrai qu’Act Up est oppositionnelle et très critique, de tout temps, de Sarkozy.
Narcissisme de chefaillon à qui tout doit ramener, comportement de meneur de bande,versatilité capricieuse et opportuniste des jugements, mobiles idéologiques changeants mais aussi réac que ses goûts musicaux: sur le fond, Sarkozy, c’est Fonzie.