Freedonia

Plan euro (1)

June 8th, 2009

C’est un mois, et même c’était un week-end, exceptionnels niveau camemberts. Freedonia, le RSS de la joie, lance donc le festival «Juin élections Juin passion» avec des tas de diagrammes électoraux fous fous. Avec pour commencer une compte rendu exhaustif des européennes, mais en plusieurs morceaux parce que j’ai regardé «Porta a Porta» et la RTBF trop tard hier soir.

De passage en France, j’avais fait un petit reportage photo sur les posters des listes, affichés rue Ivan-Couronne. Pas de visuel UMP, qui avait semble-t-il décidé de placarder tard pour gagner plus.  Meanwhile, elle matraquait à la télé son effroyable clip où Xavier Bertrand et Michel Barnier succubaient les permanents du Mouvement populaire voire des passants dans la rue (dans tout politicien il y a un méchant de «Matrix» qui sommeille) ; grâce à sa bi-incarnation dans le Nouveau Centre, l’UMP pouvait même matraquer doublement en disposant d’un second temps de diffusion. Enfin c’était le printemps, les enfants jouaient au ballon en faisant des petits piaillements d’enfants, le soleil dégoulinait sa lumière, le soir tombait, Paris ignorait l’imminence du chômage de Benoît Hamon.

L'écologie, une idée d'avenir défendue par des hasbeen. Chez Libertas, tout le monde a le même costume. «Pas question!», «Assez!», «Détrompez-vous...» et «Non non non», les titres de Wendy Magazine recyclés par le NPA.
On se fend la poire chez les Mélenchon. Méchants, vilains, vous ne voudriez pas faire de la peine à Harlem Désir quand même? Vous aussi, votez pour des anonymes au service d'idées vagues!
Encore un effort si vous voulez être républicains. Une cravate louée chez Libertas. Les techniques occidentales délatoires de Marielle ont un peu trouvé leur limite chez Arlette Chabot.

Merci le mode de scrutin!

De retour en Ruritanie, j’ai fait un peu la même chose mais avec des vélos :

Ja tegen Europa. Voor Nederland.
Zin in de Toekomst. Ronde de nuit.

Péroxydation strasbourgeoise.

Hüzün

May 29th, 2009





A1: Les écrivains d’Istamboul, Loti, Pamuk, d’autres qu’il évoque, en font la capitale de la nostalgie et du vague-à-l’âme. La ville se désagrège, brûle, sombre, ou se suicide languissamment au poison. Le vrai Stamboul se meurt d’une mort lente qui le défigure. Son histoire est gommée, ses murs restent comme un lépreux palimpseste où le dernier mot écrit est plus grossièrement «moderne» et exogène que le précédent.
A2: Ville écrite, décrite cent fois, peut-être les noms de ses quartiers suffiraient-ils à préserver la magie du lieu dans leurs rimes internes, leurs assonances levantines qui vous embarquent comme des billets d’Orient Express, vous étreignent comme des héroïnes de romans orientalistes, vous émeuvent comme une complainte de gazebo : Karakoÿ, Kadiköy, Beylerbeyi, Besiktas, Bebek, Fener, Cukurcuma, Üsküdar, Eminönü, Sultanahmet. Ces noms tels des numéros d’arrondissement dont les courbes et les pointes auraient pris autant de personnalité que des prénoms.
A3: J’écris à mon tour ce lieu commun: Stamboul, c’était mieux avant. Et moi aussi, sur Istiklal Caddesi, je me suis dit: l’avenue n’est plus comme il y a cinq ans, une partie du mystère se dissipe, ces passages s’aseptisent, ces commerces se banalisent, les bouquinistes ferment l’un après l’autre, les restaurants populaires et les magasins de spécialité se sont terrés dans les contre-allées.
B1: Faut-il souhaiter à Istamboul de se rester fidèle, pittoresque et pauvre, la ville de toutes les villes (comme il est des «rois des rois») patrouillée par les chats? Ou sous la gentrification et la globalisation, doit-on apercevoir la perpétuelle réécriture de soi, l’afflux de partout de la jeunesse et de la nouveauté, l’accueil hasardé mais fertile de tous les migrants, le port prospère aux quatre vents, qui en font une grande ville en vie (contrairement à Paris, ville petite, ville vieille et morte, nécropole à ciel ouvert)?
B2: Sur les quais, on abat les derniers kiosques de bois, les villas d’été à l’ancienne que Pamuk avait vu déjà brûler dans son enfance.
B3: Autre charme par les mots, les immeubles du XXe siècle qui ont reçu, chacun, un nom, faisant de la déambulation à Istamboul le jeu de piste d’une promenade de bord de plage, «La Mer», «Rêve», «Coton». Les enjolivures dorées, parfois les caractères grecs ou arméniens, conservent encore un peu du cosmopolitisme bourgeois du passé.
C1: Cet effacement du passé, inévitable mais accidentel, local, le lent rapiècement de la ville, avait déjà pris un tour délibéré et général avec Atatürk. Des siècles d’habitude, les chapeaux, l’alphabet, l’histoire et les historiens, enfin, furent mis a la trappe.
C2: Malgré cela, et le sévère jugement que portent ComitéCentral ou Hasan sur le caudillo de Salonique, malgré le caractère suspect de l’admiration obligatoire et du portrait omniprésent, je peine à n’avoir pas de l’affection pour lui, ses looks désuets, ses yeux clairs et mélancoliques, sa villa Bauhaus, ses viriles soirées à enfiler des verres de rakı et à jouer au 3-5-8.
C3: Dans toute la ville j’étais promené par Wehbi, mon possessif ami, comme si cinq ans n’avaient pas passé. Il connaissait tous les marchands du bazar comme de vieux amis, disait «ils sont Arméniens», «il vend les meilleurs tissus depuis très longtemps», on buvait du thé à la pomme. Il organisait mes visites et mes plans cul, ou peu s’en fallait.
D1: La première différence d’Istamboul est le chant du muezzin qui réveille avec le jour, le premier jour. Istamboul est la ville des mosquées comme Rome est celle des églises. On les retrouve, les belles mosquées de quartier, solides, grises et trapues, le cœur de la vie civique et commerçante. Mais Rome s’ennuie à périr d’être vaticane, alors qu’Istamboul n’est pas seulement, pas surtout coranique, et vit. La foi, le culte ne sont qu’un des mouvements de la ville, et pas le principal.
D2: La courtoisie est douce et étouffe-chrétien, sophistiquée, antique, généreuse et hospitalière comme une pâtisserie. On asperge les mains des convives de cologne dans un geste qui sent la Bible et le caravansérail. On m’a offert comme un trousseau de cadeaux pour mon arrivée; et le repas familial turc est un gigantesque potlach, une lutte maternelle contre la faim.
D3: Wehbi, ses amis, Hasan, m’interrogent sur les chances pour la Turquie d’entrer dans l’Europe, sur Sarkozy et Merkel. Chez ces jeunes, divers d’ailleurs, ni l’Arménie ni Chypre ne sont des enjeux, même des débats (le génocide arménien était en continu le sujet du journal télé). Il y a surtout une immense envie de normalité et d’accès, et une mésestimation de l’effroyable mépris raciste des Européens.
E1: Hasan rit de son grand rire, ne prend pas grand chose ou grand monde au sérieux. Ses peintures parlent pourtant des césures de Chypre, des villages fantômes et des voisinages campagnards révolus qui parsèment encore l’esprit de sa grand’mère. Quelque part entre Jan Steen et Bacon.
E2: Ce voyage s’est clos sur une conversation de et avec des marchands de tapis. A bout d’argument, je repartais impécunieux avec un beau kilim.
E3: Partout flotte «Ay Yıldız», beaucoup par nationalisme mais un peu aussi pour appeler la nuit rouge: la promenade de point d’heure de Galatasaray à Galata quand on quitte les beaux halls d’hôtels de Pera, la clarté obscure qui tombe des ogives des hammams, la lune qui soigne la ville comme une mélopée ambiguë de Zeki Müren.

Nickel

May 15th, 2009

En Islande, la coalition de gauche, qui avait remplacé en minoritaire l’équipe conservatrice / libérale discréditée par l’effondrement financier, remporte clairement les élections. Un mouvement protestataire né du même contexte fait également son entrée au Parlement. Le pays devrait poser sa candidature à l’UE et à l’euro prochainement (moi tant qu’un groupe NGL survit à Strasbourg je suis pour).

J’ai pas mal parlé avec mon pote nord-chypriote Hasan des conséquences des élections récentes, qui ont vu la victoire de la droite nationaliste non-religieuse («les fascistes» d’après lui, mais je crois qu’il avait cette épithète facile), aux dépends de la gauche kémaliste. Jusque récemment, le sud de l’île ayant basculé à gauche, deux vieux compères étaient en poste de part et d’autres de la Ligne Attila, Rauf Denktaş au Nord, Dimitris Christofias au sud; mais la bascule du pouvoir en RTCN complique à nouveau les négociations sur la réunification («le plan Annan»), avec cette fois-ci le Sud plutôt pour et le Nord plutôt contre. Les haines et les complications ne sont pas forcément là où l’on croit : entre les deux communautés peut-être, mais aussi entre Chypriotes-Grecs et Athènes, et entre Chypriotes-Turcs historiques (modérés voire indifférents dans leur religion, désireux surtout de ré-établir les liens ancestraux avec le Sud et d’intégrer l’UE de fait comme déjà de droit, outrés de la colonisation anatolienne qui déséquilibre tout) et Turcs d’Ankara.

Côté logos, je ne sais pas, c’est rond et un peu ringard. L’embargo sur Chypre-Nord a dû aussi toucher les consultants-graphistes.

En Nouvelle-Calédonie, la droite reste majoritaire malgré la progression des indépendantistes. Entrée en lice d’un petit Parti travailliste, proche d’un syndicat (comme son nom l’indique) et du NPA, aussi.

Cet horrible clip (nase et mensonger) du lobby américain hostile au mariage entre personnes de même sexe :

…a inspiré plusieurs parodies assez fandardes, comme celle du «Colbert Report» :

…celle de «Funny or Die» :

Pérambulation

April 21st, 2009






A1: Il y a des semaines, BoxingBoy était venu rendre visite à sa soeur à A-dam. Amoureux craignant l’éconduite, il terrait son angoisse dans la confection de soufflés au fromage.
A2: BoxingPhoto fêtait dignement la quille et la crise au Jeu du téléphone.
A3: C’était juste avant que je ne passe le concours d’entrée dans la prépa du concours d’entrée. Du jour des écrits: la Villette comme un cauchemar eighties de béton dans le froid net du petit matin avenue Jean-Jaurès, la Villette Géode et Halle étincelantes le soir au grand soleil de printemps, l’apéro et le digne dîner carnivore avec les Ngroung, je n’ai hélas pas de photos.
B1: Je n’ai pas beaucoup parlé de Rob, non plus. Crame dit: «ah oui, j’oublie toujours pour ton amour.»
B2: A Paris, la PELTAG envisageait la privatisation. Bientôt, ShiningRubis dirigerait une société de gardiennage de la mode.
B3: DC disait: «mes parents sont en plein revival de la Shoah.»
C1: Pourtant, on ne se quitte plus. Ainsi, cette visite, cette promenade à Breda.
C2: A Paris aussi, tea-time et cancans avec Maaxxx, depuis les chics toits du boulevard Raspail.
C3: Un dîner chez Marie-Gabrielle. On discutait avec Nico No-Photo de l’Etat et de ses serviteurs.
D1: Le dimanche, on avait été voir une expo yiddish avec les STAPS. Alex parlait de son manuel de gender studies, d’un journal féministe historique…
D2: … et François B2 réinterprétait: «… elles impriment ça à deux au fond d’une cave, ‘t’as bu tout l’alcool, on peut plus ronéotyper, à cause de toi le numéro annuel de Nouvelles Etudes féministes est pas sorti!’»
D3: Les B2, eux-mêmes, avaient blanchi leur nuit et leur foie avec BoxingBoy et Maaxxx au Banana Café.
E1: Le samedi, avec Matthieu DC, on avait parcouru le Marais désaltéré de soleil printanier, tout terrasses et jolis garçons à vélo. Sortie de La Perle: «c’est la fête des blondinax ou bien?!»
E2: Dimanche soir, ShiningRubis sombrait dans l’abîme de sa relation striver / slacker avec son fuckbuddy.
E3: Crame continuait son Catalogue des garçons de l’Union latine et de l’Union pour la Méditerranée. Bientôt, ce serait la Croatie!
F1: Et le lundi, on discutait avec Morgie dans les files de Beaubourg et attablés dehors, d’An vue à Bruxelles, de ses projets, du job à trouver à Paris ou ailleurs: «Je suis plus Madrid que Barcelone. J’suis snob quoi!»
F2: A Meudon et à Sèvres, j’ai un peu circulé et beaucoup pris de photos, avant que je n’oublie, avant que tous ces beaux vestiges ne soient déblayés par une malencontreuse rénovation.
F3: Chaque maison était un lest de souvenirs, de songes, de paralogismes d’enfance, d’anecdotes et d’archétypes. Même les immeubles que je découvris, la mystérieuse rue Estelle que j’osais emprunter pour la première fois, les remémoraient, les confirmaient.

J’ai vu monter personne.

April 15th, 2009

Au Monténégro, la coalition indépendantiste de Djukanovic reste au pouvoir. Elle bat les divers partis d’opposition généralement unitaires (avec la Serbie). Si l’adhésion à l’UE fait généralement consensus, on retrouve en outre dans chaque camp la plupart des tendances idéologiques. La majorité peut en outre s’appuyer sur les partis des minorités bosnienne, croate (les carreaux bleu-blanc-rouge), et certains élus albanais.

A noter,
- la floraison de partis démocrates, démocratiques, socialistes, socialistes démocrates, sociaux-démocrates, etc.
- les liens encore étroits avec la vie politique serbe (voir le camembert ici, où figurent aussi les Radicaux à l’extrême-droite).
- le tropisme de la minorité albanaise (figurée en bas à gauche du diagramme) pour les logos ronds et ringards, sur le modèle italien.

«I’m Not There»

March 23rd, 2009




A1: Pourtant, il y a deux weekends, tout avait bien commencé. A la cantoche de la banlieue du business — Levallois — , Adiabou et Crame étaient bien mignons: jolis et juvéniles, vivaces, drôles, mordants.
A2: Crame en l’île avait laissé surnager sa sensibilité.
A3: Le samedi, paradoxalement irrité du bond en avant d’homophilie de sa daronne, Matthieu DC disait: «il faut que je choppe le blondinet pour pouvoir le présenter demain à ma mère.»
B1: «il y a deux chemins dans la vie: se rendre compte qu’elle n’est que malheur et vanité et porter cette vérité toute la vie comme une croix. Ou alors, comme Bernie Madoff, être dans le déni, passer une vie de golf, de margaritas et de putes roumaines. L’étrange est que la plupart des gens font le premier choix plutôt que le second.C’est la grande énigme de l’humanité.»
B2: Au Central, mon père (…)
B3: A Drouot, nous étions venus écouter le «frère de Sarah Bernhardt», un commissaire hors d’âge, déclamer emphatique et crescendo: «approchez-les moi que j’observe ça… aaaah, belles pièces, il y en a deux: elles font pendant… ce n’est pas à gauche, ce n’est plus au centre c’est à droite… oh ouiii madame, bel achat!»
C1: Idan déplorait la dérive fasciste de la Knesset, sans moins vouloir rentrer là-bas. Alex publiait une belle tribune mobilisatrice. Ainsi, les amis sont ceux qui vous rappellent à la rage, qui vous maintiennent en vie (aux deux orthographes).
C2: Le soir, à l’apéro, nous avions aimablement parlé avec J*** de son improbable et épuisante vocation de leader du mouvement universitaire. Entre le pâté et le tablier-de-sapeur, il racontait son flirt prolongé avec la mort. L’effroi me saisit. Tout soudain fut sur la table, tout ressurgit dans cet échange étrange sur la fidélité et la confiance, de mes propres lâchetés amoureuses, des impasses, des biais, des tête-à-queue sans explication que j’avais tant pratiqués avec lui et depuis.
C3: Et parallèlement, partout dans Paris, rarement avais-je trouvé la violence aussi palpable, jeunes filles se castagnant dans le métro, jeunes gens s’abattant sur Châtelet en meute.
D1: Plus tard, à la douche, le blondinet hétéro, parfait et afrikaner du club de gym a entamé une conversation sur tout et rien; il m’avait cru voir dans un nightclub pour plagistes et filles à gros seins. Malgré tout le temps passé, je suis à la merci des situations et de mon désir absurde, aujourd’hui comme à 17 ans. Lui reste le maître de ce monde, il fait fi des sous-entendus et des ambiguïtés; je suis seul troublé qu’un joli garçon me parle la bite à l’air.

Antipasti misti

March 16th, 2009

First things first, il faut revenir un peu sur les récentes élections en Sardaigne. La droite berlusconienne et ses amis ont évincé la majorité sortante de gauche, conduite par un magnat des internets, d’ailleurs soupçonné (lui aussi, d’ailleurs) de malversations.  Exeunt les ambitions nationales de M. Soru, exit aussi Walter (Veltroni), le leader national du PD, avec cette défaite humiliante. Berlusconi se fait lui-même élire en Sardaigne, où il possède un palais.

A noter qu’au plan local contrairement à sa posture nationale, en Sardaigne comme presque partout ailleurs en Italie, l’Union du Centre gouverne avec le Peuple de la liberté et l’extrême-droite du Nord et du Sud. Cf. la petite carte réalisée au passage, juste pour le plaisir, et qui permet aussi d’apprendre que Refondation communiste connaît ces temps-ci une scission «gauche unitaire» sur sa droite, sous le nom de MPS, Mouvement pour la Gauche. Le MPS travaille avec la minorité du PdCI (Unir la gauche) et la gauche de l’ancien PDS qui a refusé la fusion dans le PD (SD, Gauche démocratique). C’est le président de la région des Pouilles qui conduit le MPS.

Les nationalistes sardes sont assez divisés, entre les conservateurs d’ancienneté antédiluvienne du Parti sarde d’action, les écolo-gauchistes de Rouges Maures, les opportuno-centristes de l’UDS (alliés ce coup-ci à des experts en louvoiement droitier, le Nouveau PSI), et la dissolution des modérés du Projet Sardaigne dans le PD.

«Sardegna torna a sorridere»

Il brigante rosso

En Autriche, les héritiers de Haider raflent (la mise) en Carinthie. Ils continueront de faire flipper leurs Slovènes en Grosse Koalition avec les «rouges» et les «noirs». A Salzbourg, bascule d’équilibre au sein du Proporz local.

«BZÖ baut weiter an Kärntens Zukunft!»

En Espagne enfin, quelques vagues dans les autonomies du Nord. La Galice repasse à droite.

Les nationalistes, toutes tendances confondues, perdent pour la première fois la majorité absolue au parlement basque ; l’abstention, l’EAJ/PNV (droite chrétienne indépendantiste) et Aralar (gauche indépendantiste et pacifiste) récupèrent les voix jadis portées sur le Parti communiste des terres basques (EHAK), interdit tout comme Batasuna pour liens avec l’ETA. Tout ce petit monde, d’Aralar au PP, en passant par les soc-dem/nationalistes de Solidarité Basque (EA) mais à l’exception notable de l’EAJ/PNV, leader sur son marché, a dépoussiéré son logo. Particulièrement flagrante, la simplification / facebookisation (bleu, halo et relief, rondeur, linéales, minuscules) de l’emblème du PP, qui — comme l’ensemble de la classe politique mondiale ces temps-ci — doit rêver humide au web 2.0 et à la mobilisation affinitaire en ligne.

«Chegou o momento.»

«Zuk egiten duzu Euskadi /Euskadi lo haces tú»

L’actualité américaine, et au-delà, a récemment popularisé l’expression de chaîne de Ponzi, fréquemment évoquée ces temps-ci par les satiristes. Il s’agit d’un type classique d’escroquerie pyramidale, dans laquelle l’escroc doit attirer sans cesse plus de victimes, pour rembourser les premières à la hauteur des gains financiers très élevés qu’il promet, et laisser tout le monde dupe dans la durée. Dernier exemple en date, Bernard Madoff. On peut d’ailleurs voir dans des pans entiers de l’économie américaine, même licite, cette entourloupe exponentielle ; ainsi de la promotion immobilière exponentielle en Floride, le «Ponzi State».

Sarkozy a, de bien des façons, une familiarité à cette arnaque de Ponzi. Il a d’abord été, très directement et jusqu’il y a peu, l’avocat de l’importation, en France, du système d’emprunt hypothécaire rechargeable. Ce dernier permet(tait) aux Américains d’adosser leurs emprunts à la consommation (achat d’une voiture, d’une télé…) sur la valeur sans cesse croissante de leur logement, lui-même acquis à crédit. Or ce système ne prospère que sur un mensonge foncier : votre maison vaudra plus demain qu’aujourd’hui, et encore plus après-demain, et sur une caractéristique proprement «ponzienne»: il lui faut sans cesse plus de gogos pour que la bulle spéculative poursuive son gonflement. Dans la débâcle, les derniers à reprendre leurs billes n’ont plus de billes.

L’éthique de Ponzi imprègne, au fond, la pensée économique de Sarkozy : ainsi du «choc de confiance» de la loi «TEPA».  L’idée de fond en est d’offrir des gains immédiats aux clientèles électorales habituelles de la droite (divers cadeaux fiscaux instantanés) ; ces gains ne peuvent être couverts sans problème à long terme par le budget de l’Etat, que si les avantages (limités) sur les heures supplémentaires – avantages ciblés sur l’électorat gagné par Sarkozy en 2007 – suscitent à terme, par quelque magie libérale, un surcroît de croissance. On n’a vu, en 2007-2008, ni emplois supplémentaires, ni sursaut de croissance, ni de ce fait budget soutenable. Mais les gains du bouclier fiscal et des réductions d’impôts (sur le revenu, la fortune et les successions) demeurent acquis aux plus riches, au risque peut-être de l’effondrement de l’ensemble des finances de l’Etat (la dette publique devrait passer de 67% à 78% environ, en trois ans).

«Ponzienne» finalement, la communication du Président de la République. L’énormité de chaque promesse («travailler plus pour gagner plus», diminuer les prélèvements obligatoires de 4 points, «que d’ici 2 ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir»), la brutalité de chaque décision (du ministère de l’identité nationale à l’incarcération des fous, de la mise au pas de l’audiovisuel au sabotage de la recherche publique, du bâillonnement de l’opposition parlementaire à celui de la magistrature) seraient intenables si elles n’étaient couvertes sans cesse par d’autres promesses, d’autres décisions plus bruyantes et plus agressives. La saturation médiatique de Sarkozy, sa frénésie de «réformes» ne sont pas seulement un choix tactique habile (occuper toute la place) ou le reflet d’une personnalité narcissique: ils sont une nécessité, une fuite en avant. Comme une bicyclette, Sarkozy tombe s’il s’arrête.  Comme une pyramide bancaire albanaise, le doute ou la contestation feraient s’effondrer son pouvoir comme château de cartes, car ce pouvoir a le double visage grimaçant de tout lepénisme: vent ou violence. Dans la méthode, pas le choix: Sarkozy c’est Ponzi.

***

Arthur Fonzerello «Fonzie» est un personnage de la sitcom américaine «Happy Days», tournée dans les années 1970, un temps très regardée y compris en France. Dans ce rétroviseur nostalgique et stéréotypé vers les «jours heureux» d’avant la guerre du Vietnam, Fonzie est l’archétype du «blouson noir» au grand cœur, populaire et marginal tout a la fois.

Alors quel liens avec «Sarkozy l’américain», selon l’expression de son désormais ministre Éric Besson? On passera sur le fait que Fonzie se déplace généralement avec une ou plusieurs pin-up au bras, femmes-trophées anonymes, interchangeables, faciles et séduites, dont on ne se rappelle pas qu’elles parlaient ou, a fortiori, chantaient.

Fonzie est une grande gueule qui domine les situations, les gens, et même les choses, par son prétendu bon sens et la brusquerie de son style. Peu éduqué, malappris, Fonzie s’impose et se rend incontournable de force. (le personnage lui-même était initialement secondaire dans la série.) Fonzie clôt tout discussion d’un «wow, wow, wow!» ou d’un «eyy!», convoque les filles d’un claquement de doigt, répare le juke-box d’un coup de poing, arbitre ce qui est cool ou pas a Milwaukee de deux pouces levés. Le Président de la République, lui, repousse un opposant d’un «pauv’ con», cherche la bagarre avec un marin en balbutiant agressivement, juge de tout et décide de tout sur un coup de tête (la fin de la pub à la télé, la mémoire d’un enfant juif déporté à la charge d’un écolier, etc.), il ignore la grammaire et l’orthographe. Sarkozy fait de la politique comme un petit caïd.

Dans la série, Fonzie n’est pas in fine un facteur de désordre mais une soupape d’originalité tout au plus vestimentaire et verbale, dans l’intérêt bien compris de l’Ordre. Le fils d’immigrés italiens, abandonné par son père, sait se faire apprécier de la famille Cunningham (incarnation des classes moyennes WASP et conformistes), la servir et l’aider face aux problèmes du quotidien. Sous le masque de la remise en cause se cache le pilier de l’Amérique d’Eisenhower, pour lequel le héros appelle d’ailleurs a voter. («I like Ike. My bike likes Ike.») De même, Sarkozy n’est que le zeste populo et prétendument transgressif («les conservateurs ce sont eux») de la Réaction la plus nue et la moins imaginative.

Il faut rapprocher par exemple deux événements similaires et récents, et les attitudes diamétralement opposés qu’ils ont suscitées chez Sarkozy. J’ai parlé déjà du coming out égoïste et politicien de Karoutchi, soutenu par Sarkozy qui y voit, selon toute vraisemblance, de la pub pour son ministre candidat en l’Île-de-France, ou l’occasion d’illustrer sa propre largesse d’esprit. Toute autre est sa réaction (si l’on en croit le Canard enchaîné) à la parution de la photo d’ailleurs assez décente du PDG de Radio France, J.-P. Cluzel, en compagnie d’un catcheur, dans le calendrier d’Act Up Paris: «sa vie privée c’est sa vie privée.Il fait ce qu’il veut mais il n’a pas à s’afficher comme ça.» Il est vrai que Cluzel est chiraquien et pas en cour à l’Elysée. Il est vrai qu’Act Up est oppositionnelle et très critique, de tout temps, de Sarkozy.

Narcissisme de chefaillon à qui tout doit ramener, comportement de meneur de bande,versatilité capricieuse et opportuniste des jugements, mobiles idéologiques changeants mais aussi réac que ses goûts musicaux: sur le fond, Sarkozy, c’est Fonzie.

La condamnation à une peine d’emprisonnement (avec sursis) de Bédier, ancien secrétaire d’État aux programmes immobiliers de la justice, m’avait semblé à l’époque une manifestation définitivement fendarde de l’ironie de l’Histoire. La droite était très empressée de faire construire des prisons par ses petits potes et de les leur affermer ; tellement, qu’elle avait confié cette tâche à un pourri par ailleurs si pourri qu’il avait bien fallu l’y envoyer, ou presque.

L’Histoire, cette plaisantine, s’est pourtant encore surpassée : on a eu écho l’autre semaine du plaider-coupable de deux juges de Pennsylvanie, qui avaient abusivement condamné des jeunes à la détention, en échange de pots-de-vin de la société gérant les prisons qui les incarcérait. On ignore encore le nombre de jeunes concernés. Ces juges officiaient au tribunal de Luzerne County, une zone minière en déshérence, et connaissaient d’accusations de petite voire minuscule délinquance juvénile.

Je ne crois pas que l’on puisse se contenter de voir le cas comme marginal, local, individuel: les deux ripous du tribunal paumé. Des affaires récentes de corruption ont par exemple été mises au jour auss dans la magistrature française, s’agissant notamment des tribunaux de commerce ou de la Côte d’Azur.

Le cas pennsylvanien manifeste en fait une vérité de fond sur cette société, la nôtre, dans laquelle tout (poissons, forêt vierge, industries, postes, électricité, eau, assurances, banques hier ; aujourd’hui génome, prisons, police, armées) a vocation à être privatisé s’il ne l’est déjà. De ce point de vue, les deux juges sont même un succès: le jugement lui-même était privatisé et rentable. Les magistrats n’ont fait que dégager une marge de profit dans un contexte plus large et qui les surplombait, l’inégalité devant la justice (pour ne pas dire la justice de classe).

Ce contexte a deux jambes, celles du reaganisme (je n’ai pas de meilleur terme) : libre-entreprise et Etat répressif. Il s’alimente de la promesse d’une sorte d’éden hobbesien, sûr et prospère, et se heurte à une réalité : la concentration personnelle (et géographique) de la richesse qui découle du laisser-faire ; et donc, les tensions, les frustrations, les mouvements qu’alimentent cette inégalité. L’expérience atteste de l’effet uniforme du reaganisme : comme un CRS défend une vitrine, l’ordre public, justice et police, a pour objectif central de garantir la crudité des rapports économiques, et de légitimer et sécuriser leur inévitable corollaire de misère et de répression. Les juges n’ont fait que prolonger le raisonnement d’un cran dans sa logique : pourquoi ne pas ajouter encore un maillon à la «chaîne de valeur»?

C’est un bien que soit révélée cette affaire si éloquente, si tragique qu’on en rit, de peur de pleurer. Elle est la seule conséquence possible de l’univers de Sarkozy et de ses devanciers: un État placé en coupe réglée, policier et corrompu. Peut-être le qualifier de corrompu est-il abusif d’ailleurs : on ne saurait corrompre ce qu’on possède déjà, car abuser est le moindre des droits que confère la propriété.

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