«I Miss You Like Hell»
A1: Au Liban, on avait négocié sans fin le tarif avec les taxis. SophCo et Jul’Laf avaient conduit malgré l’absence de code de la route, sur des nationales à tombeau ouvert et des bretelles à contre-sens.
A2: Dès notre arrivée, un pote de Janaïna avait prévenu: ce pays est féodal. Et ce qui domine, plus que les clivages religieux, sont les clans, le patronage d’une famille sur sa vallée ou son quartier, les rancœurs de vendetta, le brigandage à l’échelle d’un pays et même de sa diaspora.
A3: Mis en coupe réglée, vendu à la découpe, tronçonné par les checkpoints, le Liban n’a pas d’État: pays de dealers plus encore que de marchands, seule la monnaie lui est commune. École, sécurité, transports, énergie, information, industries sont affermés aux communautés, aux barons rapaces. La vie y est cent fois équipollée, échiquetée, mafieusement morcelée, concaténée par les parentèles, les haines et les rivalités de souk.
B1: A Beyrouth, les belles villas mandataires finissent de pourrir sous le soleil, au crible des obus. La place des Martyrs, jadis le plus jet-set parking de plein air de l’Orient, est désormais un stationnement sinistre au soleil, triste et inéluctable comme un échangeur urbain belge, accoté d’immeubles fantômes, où s’est échouée la coque d’un cinéma/bunker.
B2: Janaïna, là-dedans, continuait de papillonner de camp palestinien en soirée maronite chic, de cours de capoeira en amis gauchistes; Janaïna «qui rit, malgré les averses, prépare en secret» le concours.
B3: Demeurent l’immense splendeur déserte de Baalbek, le sursis d’oasis et la magnificence de caravansérail du palais de Beiteddine, la grâce immémoriale de Tyr, de Byblos, de Sidon.
C1: A Beyrouth encore, quartiers Est, la jeunesse friquée vit son mirage d’oisiveté made in Miami, musique assourdissante, beauté bling-bling et refaite.Tout est fake (…).
C2: La côte, elle, est percluse des hideux cauchemars des promoteurs, mitée par l’égoïsme et l’anarchie des résidences secondaires.
C3: Pendant ce temps-là, SophCo achetait un teeshirt du Hezbollah (bon goût, toujours) et Jul’Laf cherchait des noises aux locaux.