Freedonia

Landslide!

«A very gracious concession speech.»

D’abord être honnête, et dire que ce qui me domine est la joie. Je me rappelle quand,  le 3 octobre 1990, mes parents nous ont réveillés avec SophCo, pour voir à la télé la réunification allemande,l’hymne national joué à Berlin, les feux d’artifice, les foules si justement et univoquement heureuses. Le parc à Chicago est magnifique, presque le souvenir d’une génération : toute le peuple mêlé là où la loi imposait encore, il y a 45 ans, la ségrégation ; là où la jeunesse pacifiste fut tabassée par les flics il y a 40 ans -, les foyers noirs filmés par la télé, la fête au fin fond du Kenya. Parfois, l’Amérique se surpasse, surpasse les ghettos, la violence, la corruption, le ridicule de son système électoral pourri et dysfonctionnel.

Le discours de McCain a été également admirable, à la hauteur de sa respectable carrière parlementaire, d’esprit libre et digne (jusque cet été). Je ne suis pas, néanmoins, d’accord avec lui quand il dit qu’Obama est le premier Afro-Américain élu à la présidence, Obama est mieux que ça : le premier métis. J’ai repensé, ces quelques dernières semaines, à l’oracle de mon prof d’hist-et-géo de seconde à Stan’, un Martiniquais qui disait, «je suis [en tant que métis] l’homme de l’an 3000», au milieu des rires gras de lycéens opusdéistes. Je ne sais pas où il en est, de la vie, de la retraite, mais j’espère qu’il a vu ça, et je suis heureux que l’histoire lui donne, dans une certaine mesure au moins, raison avec tant d’avance.

La campagne d’Obama a été, sur le plan matériel, pratique, quelque chose de formidable, «j’adore qu’un plan se déroule sans accroc».
- il l’emporte très largement chez les primo-votants (a.K.a les jeunes), les Latinos, les Noirs bien sûr, et emporte une part très significative du vote «petit-blanc», ouvrier, notamment féminin. Sa coalition est une image fidèle et encourageante de l’Amérique qui souffre et de celle qui arrive.
- Grâce à l’engagement personnel et matériel majeur et créatif de ses supporters (ainsi que l’argent des grands donateurs traditionnels des Démocrates), il a emporté le pari de l’inscription sur les listes et du vote effectif («getting out the vote»). Il gagne des votes (par rapport à Gore et Kerry) dans les bastions démocrates, comme dans les bastions républicains. Il fait basculer les banlieues.
- Par conséquent, il l’emporte sur l’ensemble des quatre «chemins» vers la Maison-Blanche que ses stratèges avaient tracé : à l’Ouest (Nouveau-Mexique, Colorado, Nevada), dans le Midwest (Ohio, peut-être même Missouri et Indiana), dans les Appalaches (Ohio, Pennsylvanie, et même Virginie), et en Floride.
- Il a le mandat populaire et électoral le plus large en 44 ans, une ample majorité au Congrès – encore qu’il demeure incertain s’il a la super-majorité sénatoriale, lui permettant de surmonter la «flibuste» des Républicains ; cela dépendra notamment de l’affiliation de Joe (The Plumber?) Lieberman.

Sébastien Prof disait (il y a quelques semaines dans un dîner avec BoxerGirl et BoxerPhoto), dans ces conditions, il pourrait même passer un programme bien à gauche, notamment sur l’assurance-maladie (couverture universelle et largement publique). Je ne sais pas. C’est probablement l’élan de la majorité parlementaire. Ce n’était pas son programme; ce n’est pas, je crois, le fond de sa pensée — à la fois par conviction et par positionnement politique. Il me semble y avoir deux aspects à ce dernier point :
- la tentation, pour lui, d’être non seulement le Lincoln mais le Reagan de sa génération: on parle d’ores et déjà largement d’«Obama Republicans.»
-je me suis dit récemment, à la lecture d’articles sur Obama, qu’il y a quelque chose en lui de Jospin. Le contrôle total de soi, jusqu’à l’ascèse et à quelque inhumanité; sa traduction dans une bonne éloquence, une forme de simplicité et d’esprit direct qui n’existe qu’en surface ; l’insistance sur la «méthode», cette petite dialectique qui conduit à éviter les solutions «extrêmes» et prône la collégialité, l’écoute. Michelle pourrait aussi, comme Sylviane Agacinski, jouer des tours (j’aime beaucoup la personnalité et les idées de Michelle Obama et pas celles d’Agacinski ; mais elle me semble également inflammable, peut-être de piètre conseil politique).  On verra. Cela ne gâche pas plus le bonheur que de se remémorer 1997 au prisme de 2002.

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